Dans ces articles (1et 2), nous avions discuté de l’importance du storytelling en marketing et de comment il était possible de puiser dans les histoires de votre propre entreprise pour construire votre campagne.
Voyons maintenant une autre forme de storytelling en marketing qui ne va plus chercher sa source dans les histoires réelles de vos débuts ou de votre clientèle, mais qui va plutôt créer du contenu narratif. Nous appellerons cette forme de storytelling de contenu : le storytelling fictionnel.
L’idée semble simple en apparence et existe depuis les débuts de la publicité : inventer une petite histoire pour vanter les bienfaits de son produit ou de son service. Cette tendance s’appuie sur un fait simple : étant de créatures de récit, le public sera plus intéressé par une publicité narrative qu’à une publicité de contenu. Et à notre époque de partage massif, une bonne histoire se destine à être regardée puis partagée, créant ainsi la visibilité que vise l’entreprise à la base de cette création.
Alors comment créer LA bonne histoire ? En allant puiser des conseils dans des domaines tels que la littérature, nous verrons que les rouages d’une bonne histoire peuvent se déconstruire en éléments précis afin d’en comprendre l’efficacité.
Mais avant de construire notre histoire, une première question s’impose : de quoi va-t-elle parler ? Quel sera son sujet ? Une chose est sûre, ce sujet ne devrait pas être votre produit.
Laisser place nette à l’émotion – l’absence du produit dans le le storytelling fictionnel
Une campagne marketing fictionnelle n’a qu’un seul but : susciter une réaction émotionnelle plutôt que rationnelle. Pour choisir un thème, il faut donc aller puiser dans les valeurs connexes de votre entreprise, dans les ramifications plus subtiles de votre identité. Il est aussi conseillé de faire appel aux goûts et inclination de votre public cible sans forcément faire une référence directe à votre produit.
Pour prendre un exemple simple, pensons à une marque de voiture qui vend des SUV. Si cette dernière se lance dans une campagne marketing de storytelling fictionnel, elle n’ira pas forcément créer une histoire sur la puissance de son moteur ou le confort de son habitacle. Elle ira puiser dans des concepts plus oniriques tels que la soif d’aventure, la découverte des grands espaces, la liberté, l’ardeur au travail et même les valeurs familiales. Tout ce que je viens de lister n’a rien à voir avec un véhicule qui vous mènera, aussi gros soit-il, du point A au point B. Mais ces valeurs créent le rêve, font appel l’imaginaire, vont toucher votre public cible dans des valeurs que vous partagez avec eux.
Exemple d’un spot Volvo utilisant la technique
Pour trouver votre sujet, il est important de connaître les valeurs connexes auxquels vous voulez lier votre entreprise et que vous partagez avec votre public (l’aventure, la réussite, la famille, le luxe, l’écologie, etc.). Cette identité secondaire dépend de chaque entreprise et appel à une connaissance précise de votre ADN et de votre public cible.
Créer la bonne histoire – Il était une fois, l’arc narratif
Une fois votre thème et votre sujet choisis, il est temps de créer une histoire qui fera parler de vous. Le storytelling est une science qui s’apprend. Et nous verrons qu’un simple respect de l’arc narratif littéraire peut vous mener loin.
Pour cet article encore, je vais me pencher plus précisément sur une vidéo publicitaire et essayer d’en tirer quelques enseignements pour vous aider dans votre campagne de storytelling de contenu.
Le spot que j’ai choisi se nomme « Back to the start » de la marque Chipotle. Cette campagne mise en circulation en 2012 est la première campagne internationale de l’entreprise. La marque a depuis créé d’autres campagnes du genre tel que « The Scarecrow » en 2014 « Love Story » en 2016.
Le petit film « Back to the start » qui nous intéresse aujourd’hui a depuis sa sortie a gagné un Grand Lion D’Or à Cannes et a récolté des millions de vues sur Youtube. Bien qu’elle date de quelques années, c’est un classique du genre du storytelling fictionnel.
Chipotle Mexican Grill est une chaîne de restaurant. La valeur connexe que la marque a choisi de souligner dans cette publicité est l’agriculture responsable. Pour lier la marque à cette valeur, la publicité va utiliser l’arc narratif littéraire pour profiter du potentiel émotionnel qu’il peut créer.
L’arc narratif au service du storytelling fictionnel
L’arc narratif est un schéma des éléments que partagent en théorie toutes les histoires dans leurs développements. Cette structure est si imprégnée dans notre cerveau qu’on ne le remarque presque plus. Elle est utilisée autant en littérature qu’au cinéma. En voici les grandes lignes :
- Situation initiale – élément déclencheur – péripéties – dénouement – situation finale
Analysons maintenant l’utilisation de l’arc narratif dans la publicité de Chipotle et quels enseignements nous pourrions en tirer pour une campagne de storytelling fictionnel.
- La situation initiale
En narration, cette partie de l’arc narratif sert à présenter les personnages, leur réalité, leur caractère et le contexte dans lequel ils évoluent. Cette première étape nous amènera bientôt à un premier problème ou conflit auquel les personnages devront faire face. Dans un livre ou un film, cette mise en place peut être lente pour laisser au lecteur ou au public le temps de s’acclimater à l’histoire.
Mais que faire quand on ne dispose que de 2 minutes ?
Dans une histoire avec visée marketing, la situation initiale doit se comprendre en quelques secondes et ce dès les premières images. Si le mystère peut s’introduire plus tard dans le processus, le début n’est pas le moment d’en abuser. Tout est dans l’exposition du contexte.
Ainsi dans la publicité de Chipotle, la situation initiale est présentée à quelques secondes de la vidéo. On voit un couple de fermiers avec un enfant dans les bras. Ils vivent dans un environnement rural paisible. Ils possèdent un cochon. Le fermier décide de construire un enclos pour son cochon.
Cette situation initiale est efficace, car elle ne nécessite aucun effort de compréhension. J’ai ici toutes les informations dont j’ai besoin pour comprendre le contexte, le temps et l’espace où évoluent mes personnages. Quels messages sous-jacents me passe-t-elle ? Les valeurs familiales, le désir de réussite pour la famille, le courage et la détermination.
En quelques secondes, le fermier m’est sympathique. Je souhaite sa réussite. Me voilà prête à m’engager dans cette histoire.
- Élément déclencheur ou le nœud
L’élément déclencheur en narration, c’est quand quelque chose arrive qui forcera les personnages à agir. L’auteur Raphaël Baroni[1]utilise plutôt le terme de « nœud » qui s’adapte mieux selon moi aux visées d’une histoire destinée au marketing.
Dans le spot de Chipotle, un premier nœud vient très rapidement. Alors qu’il a construit un enclos pour son premier cochon, le fermier se retourne et en aperçoit 6 autres. Il va devoir prendre une décision pour les accommoder eux aussi.
C’est alors qu’une spirale se met en place : il va se mettre à construire des structures de plus en plus élaborées pour répondre au développement de sa ferme.
On s’apercevra très vite que le nœud dans ce film s’avère être le développement croissant de l’activité du fermier. Devant ce conflit, notre réflexe est aussitôt de se demander : comment va-t-il y faire face ? Que va-t-il arriver ?
Le nœud d’une histoire en marketing est souvent intimement lié avec le message final que prépare la publicité. Alors que le nœud en narration littéraire ou cinématographique n’est là que pour créer un premier balancement, en marketing, il est le premier et souvent l’unique vecteur du message, l’entrée dans votre philosophie. La solution que le personnage va trouver pour dénouer cette situation va le placer comme porte-parole des valeurs que vous mettez en évidence.
- Les péripéties ou le retard
Entre le nœud et le dénouement s’insère une partie d’une grande richesse que Baroni appelle le « retard ». C’est une phase d’attente plus ou moins longue jusqu’au dénouement qui peut comporter plusieurs péripéties. « Le retard » a la vertu de créer du mystère et de l’attente. C’est peut-être cette partie qu’il conviendra de travailler avec plus de précision dans une campagne marketing. C’est là que le public se met à tirer des conclusions et que l’on peut créer de l’anticipation et du pathos.
À 0 :35 de la vidéo, la spirale du fermier se complexifie. Il semble se lier à de grandes compagnies pour la vente et la transformation de son produit. Les couleurs de la vidéo ont changé, elles deviennent grises, toutes traces de nature disparaissent peu à peu.
Dans son TedTalk« A clue to a great story », Andrew Stanton de chez Pixar (un des auteurs derrière l’histoire de Wall-E ou Nemo) dit avoir découvert que le public veut « travailler » devant une histoire. Selon lui, nous sommes nés pour résoudre des problèmes et nous sommes attirés par le fait de déduire. Nous sommes attirés par une absence d’information bien organisée qui nous conduit à la déduction. Il appelle cette théorie, la théorie du 2+2. Il ne faut pas fournir 4 à votre public, il faut lui fournir 2+2.
Dans la partie « retard » ou les péripéties, il est donc important de laisser le public tirer des conclusions seul. Il faut essayer de l’amener vers le dénouement sans trop le prendre par la main. Dans le spot de Chipotle, on veut nous faire penser : « non, ça ne va pas du tout ». La succession d’image plus sombre, la disparition du fermier, la surenchère de la surproduction nous amène à désirer un dénouement. Ainsi, quand il viendra enfin, nous aurons une impression un peu naïve d’avoir prédit le point de non-retour.
- Le dénouement ou le « climax »
Après la phase du « retard », le public est émotionnellement près à un changement, une prise de conscience. C’est ce qui va très simplement se passer dans la vidéo quand, en gros plan, on observe le fermier se rendre compte que le développement de sa ferme ne lui convient plus.
On voit ici que l’information est beaucoup moins subtile que dans la partie du retard. Il n’est plus temps de laisser le public tirer des conclusions, cette étape est déjà passée. Dans le dénouement, on va lui donner ce qu’il attend, ce qui va arriver comme une sorte de soulagement.
Dans une campagne de storytelling fictionnel en marketing, cette partie gagne selon moi à être claire et sans équivoque. C’est ce que Chipotle va faire.
Très habilement à ce moment précis, la vidéo se colore à nouveau et la chanson bien connue de Coldplay nous dit: « I’m going back to the start ». On ne peut pas être plus littéral que cela ! Le fermier va en effet retourner à une production plus responsable, comme à ses débuts. Bien que ce dénouement soit cousu de fils blancs, on ne peut s’empêcher de se sentir apaisé que la spirale se termine et que, comme nous, le fermier ait tiré les bonnes conclusions de ses mésaventures. N’ayez donc pas peur d’être littérale dans le dénouement, c’est ce que le public attend émotionnellement.
- La situation finale
On connaît tous ce moment dans un bon roman policier quand toute l’intrigue et révélée et, qu’enfin tout devient clair. C’est ce qu’o appelle la situation finale : le moment où l’équilibre est rétabli.
Quand il est bien mené, ce moment de l’arc narratif est censé créer une sorte d’euphorie chez le lecteur. Euphorie dont il sera bien sûr bon de tirer profit dans votre campagne marketing de storytelling. Ce sera même le moment d’enfin lier votre histoire à votre produit comme le fait ici Chipotle.
Dans la vidéo en question, après avoir rétabli une production plus responsable dans sa ferme au plus grand soulagement du public, Chipotle joue sur la corde sensible en nous montrant la famille du fermier avec leur enfant, qui a visiblement grandi, et un cochon. L’image nous rappelle celle de la situation initiale, la boucle est bouclée. On crée ici le sentiment d’apaisement recherché.
Puis on aperçoit notre fermier fait affaire avec la marque Chipotle. La conclusion que l’on tire est simple : la marque s’associe à des fermiers d’entreprise familiale qui privilégient une agriculture responsable.
Puisque nous avons voyagé émotionnellement avec le fermier durant ses deux minutes en tirant les mêmes conclusions que lui sur sa production, on voit d’un bon œil son choix de collaboration avec Chipotle.
L’arrivée triomphale du produit
Cette présence du produit à la fin seulement du spot publicitaire répond à un autre mystère qui est, lui, périphérique à l’histoire lui-même.
Ce meta-mystère est intimement lié à la campagne marketing. Le public sait en effet qu’il est devant un spot publicitaire. Il a eu beau être pris dans l’histoire, il attend pourtant de savoir à quelle marque il a affaire. Il se demande sûrement : « J’aime bien cette histoire, mais quelle est la marque derrière tout cela ? » La révélation de ce deuxième mystère crée une seconde résolution qui vient se superposer à la première et complète l’euphorie narrative.
Comme Chipotle, il est habile de ménager ce mystère et de le révéler au moment émotionnel propice de la situation finale. C’est ce que font la plupart des marques, cette technique a fait ses preuves. C’est souvent cette dernière surprise qui va pousser le public à partager la vidéo sur les réseaux sociaux. Jusqu’au bout, il a été difficile pour eux de déduire quelle marque était derrière la publicité puisqu’on parle de valeurs périphériques et non de produit. Quand il le découvre enfin, une bonne surprise peut les pousser à parler de la campagne autour de lui ce qui est au grand avantage de la marque.
En conclusion
L’arc narratif a fait ses preuvesautant en littérature, en cinéma qu’en marketing. L’utiliser avec précision dans une campagne de storytelling fictionnel permet de profiter des émotions qu’il crée sur le public. Cette réaction émotionnelle n’est pas à minimiser : c’est elle qui pousse le public à non seulement aimer votre produit, mais à partager votre contenu.
Tout comme le storytelling d’histoire vraie, la réussite d’une campagne de storytelling fictionnel passe selon nous par une grande introspection. Le choix du thème de votre histoire doit aller puiser dans les valeurs connexes de votre entreprise qui construisent votre identité.
N’hésitez pas à nous contacter pour que nous vous aidions dans ce voyage !
[1]Rapahël Baroni, La tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Paris, Seuil, 2007.